Unité d’être et de vie
L’épître aux romains offre un verset fort intéressant de St Paul : « Dieu m’est témoin, à qui je rends un culte spirituel en annonçant l’Evangile de son Fils » (Rm 1, 9)… En d’autres termes, St Paul relie les deux dimensions baptismales (prêtre et prophète) : en étant prophète, il exerce une partie de son sacerdoce. Il en est de même pour nous tous, baptisés, en annonçant l’Evangile, en évangélisant, nous rendons un culte spirituel au Seigneur. Nous lui manifestons notre amour et notre attachement et nous exprimons l’amour que nous portons à notre prochain. Il y a donc une très grande unité dans notre activité de baptisé et cette unité provient de sa source unique : notre dignité, notre être sanctifié par le baptême.
« Car je ne rougis pas de l’Evangile » Rm 1, 16. En est-il ainsi pour chacun de nous ? Et combien même nous devions avoir quelque rougeur au visage en parlant du Christ parce que nous ne maîtrisons pas toutes nos émotions, parlons-nous de Lui ? Mieux vaut rougir un peu et parler que de ne rien laisser paraître et de se taire, car alors notre silence serait une forme d’apostasie et de reniement.
Le Messie doit-il être un prophète ?
Assurément. Jésus est le Messie, celui qui reçoit l’onction en vue d’être prophète (CEC 436 / 783) : « L'Esprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé m'a donné l'onction ; il m'a envoyé porter la nouvelle aux pauvres, panser les cœurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part de Yahvé et un jour de vengeance pour notre Dieu, pour consoler tous les affligés » (Is 61).
Mais cette onction de l’Esprit-Saint nous l’avons aussi reçue lors de notre baptême aussi sommes-nous véritablement prophètes en tant que membres du Christ.
(Cf. : Christifideles laici 33 : « Les fidèles laïcs, précisément parce qu'ils sont membres de l'Eglise, ont la vocation et la mission d'annoncer l'Evangile: à cette activité ils sont habilités et engagés par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les dons du Saint Esprit ».)
Une vérité proclamée par les Pères de l’Eglise
Dans son commentaire du Psaume 26, Saint Augustin écrit: « David reçut l'onction royale. En ce temps-là, il n'y avait à la recevoir que le roi et le prêtre. Ces deux personnes préfiguraient le futur roi-prêtre unique, le Christ (le mot "Christ" vient de "chrisma", qui signifie "onction"). Et notre chef n'a pas été seul à recevoir l'onction, mais nous aussi, qui sommes son Corps, nous l'avons reçue avec Lui... Voilà pourquoi l'onction est donnée à tous les chrétiens, alors que dans l'Ancien Testament elle n'était le fait que de deux personnes seulement. Que nous soyons le Corps du Christ, cela ressort clairement du fait que nous avons tous reçu l'onction et qu'en Lui nous sommes oints (christi) et Christ, parce que, d'une certaine manière, la tête et le Corps forment le Christ dans son intégrité"(S. Augustin, Enarr. in Ps 36, II,2).
Une vérité toujours actuelle
Le pape Jean-Paul II disait dans sa première homélie de successeur de Pierre le 2octobre 1978 : « Dans le sillage du Concile Vatican II, dès le début de mon service pastoral, j'ai tenu à exalter la dignité sacerdotale, prophétique et royale de tout le Peuple de Dieu : "Celui qui est né de la Vierge Marie disais-je, le fils du charpentier, à ce qu'on croyait, le Fils du Dieu vivant, comme le proclamait Pierre, est venu pour faire de nous tous "un royaume de prêtres". Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère de ce pouvoir et aussi le fait que la mission du Christ, Prêtre, Prophète-Maître, Roi, se poursuit dans l'Eglise. Tous, le Peuple de Dieu tout entier, participent à cette triple mission".
Concrètement comment exercer la dimension prophétique de notre baptême ? Comment être prophète ?
Le laïc est prophète en participant à la fonction prophétique de Jésus. Notre Seigneur poursuit sa mission prophétique par la hiérarchie de l’Eglise qui enseigne en son nom, mais il accomplit aussi cette annonce par les laïcs qui lui sont incorporés.(Cf. LG n°35) « Le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité » (LG 12). « Les laïcs deviennent les hérauts puissants de la foi en ce qu'on espère (cf. He 11,1) quand ils unissent, sans hésitation, à une vie animée par la foi la profession de cette même foi » (LG 35). Les laïcs sont donc prophètes dans la mesure où ils sont apôtres par le témoignage de leur vie et par leur parole. Notons bien que l’exemplarité de vie ne suffit pas. Elle est nécessaire pour assurer un minimum de crédibilité mais elle doit être accompagnée par un témoignage direct en parole. Avouons humblement que nous ne parlons pas beaucoup de Jésus à notre prochain. Notre mutisme est malheureusement un obstacle au rayonnement normal et requis de notre dignité de baptisé, de prophète du Christ.
Un champ particulier d’apostolat
L’annonce prophétique des laïcs a son champ propre d’apostolat. « Cette action évangélisatrice, c'est-à-dire cette annonce du Christ faite et par le témoignage de la vie et par la parole, prend un caractère spécifique et une particulière efficacité du fait qu'elle s'accomplit dans les conditions communes du siècle » (LG 35). En d’autres termes, l’apostolat des laïcs est appelé à s’exprimer essentiellement dans le monde (dans le « siècle »), ce qui faisait dire au pape Pie XII que les laïcs sont placés « aux avant-postes » de l’Eglise. Seul un nouvel élan missionnaire, en direction de ceux qui sont loin ou se sont éloignés de l’Eglise, permettra à nos communautés de retrouver l’Espérance. Les premiers ouvriers de la « nouvelle évangélisation » ce sont les laïcs. (Cf. Jean-Paul II, Christifideles laici, n° 14.)
« Le "monde" devient ainsi le milieu et le moyen de la vocation chrétienne des fidèles laïcs, parce qu'il est lui-même destiné à glorifier Dieu le Père dans le Christ. (…) les fidèles laïcs, sont "appelés par Dieu à travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité"(LG 31). Ainsi, l'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement théologique et ecclésiale. Dans leur situation au milieu du monde, en effet, Dieu manifeste son dessein et leur communique leur vocation particulière de "chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu"(LG 31). Il n’est pas difficile de retrouver ici l’enseignement classique de l’Eglise au sujet de la royauté sociale du Christ. Notons aussi qu’il ne s’agit pas, pour le laïc, de s’enfouir dans la pâte du monde en disparaissant totalement. Il s’agit, au contraire, d’être « sel de la terre » et « lumière du monde ». Sans s’affadir, sans se cacher. Etre vraiment du sel, être vraiment lumineux par notre sainteté et par nos paroles. (Cf. Christifideles laici, n° 15.)
« Le champ propre de l'activité évangélisatrice des laïcs, c'est le monde, vaste et compliqué, de la politique, de la réalité sociale, de l'économie ; comme aussi celui de la culture, de la science et des arts, de la vie internationale, des instruments de communication sociale ; et encore d'autres réalités particulièrement ouvertes à l'évangélisation, comme celle de l'amour, de la famille, de l'éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. Plus il y aura de laïcs pénétrés d'esprit évangélique, responsables de ces réalités et explicitement engagés en ces réalités, compétents dans le travail de leur développement et conscients de l'obligation qui leur incombe de développer toute leur capacité chrétienne souvent jusque là tenue cachée et étouffée, alors plus ces réalités, sans rien perdre ni sacrifier de leur coefficient humain, mais révélant une dimension transcendante souvent ignorée, se trouveront au service de l'édification du Royaume de Dieu, et donc du Salut en Jésus-Christ" (Paul VI, Evangelii nuntinadi, n°60).
Autres lieux où le laïc est appelé à être prophète du Christ Jésus
« Le terrain d'exercice et l'école par excellence de l'apostolat des laïcs se trouvent là, dans la famille où la religion chrétienne pénètre toute l'organisation de la vie et la transforme chaque jour davantage » LG 35. Les premiers catéchistes des enfants ce ne sont ni les prêtres, ni les écoles mais les parents. Les premiers prophètes des enfants ce sont leurs parents.
« Certains [laïcs], suivant leurs moyens, apportent un concours de suppléance pour certains offices sacrés quand manquent les ministres sacrés, ou quand ceux-ci sont réduits à l'impuissance par un régime de persécutions ».
Il est certain que nous avons besoin de laïcs pour aider la vie de l’Eglise au quotidien : catéchismes, visites des malades et des prisonniers, participation aux conseils paroissiaux ou économiques, services multiples rendus aux paroisses… (Cf. Apostolicam Actuositatem 10.) Le dernier Concile note aussi que les laïcs sont prophètes lorsqu’ils louent le nom de Dieu (LG 12).
L’annonce prophétique est toujours liée à la sainteté
C’est ce que le pape Jean-Paul II a enseigné sans ambiguïté dans son exhortation post-synodale « Christifideles laïci » de 1988 : « La sainteté vécue, tout en provenant de la participation à la vie de sainteté de l'Eglise, représente aussi par elle-même une première et fondamentale contribution à l'édification de l'Eglise en tant que "Communion des Saints". Devant les yeux éclairés par la foi s'ouvre un spectacle merveilleux : celui de tant de fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, précisément dans leur vie et leur activité de chaque jour, souvent inaperçus ou parfois incompris, méconnus des grands de la terre mais regardés avec amour par le Père, sont des ouvriers qui travaillent inlassablement dans la Vigne du Seigneur, des artisans humbles et grands à la fois assurément par la puissance de la grâce de Dieu de la croissance du Royaume de Dieu au cours de l'histoire ». Nous serons des saints par et dans notre devoir d’état. (AA 16 : « Tous se souviendront que par le culte public et la prière personnelle, par la pénitence et la libre acceptation des travaux et des peines de la vie qui les conforme au Christ souffrant (2Co 4,10 Col 1,24), ils peuvent atteindre tous les hommes et travailler au salut du monde entier ».)
Chacun de nous, comme baptisé et confirmé, peut donc dire : « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile » (1 Co 9,16) car « la charité du Christ [me] presse » (2Co 5,14).
Il nous reste à voir la dimension royale de notre être et de notre vie. Rendez-vous le mois prochain… Abbé Laurent Spriet